EXTRAIT d’un article paru dans la Revue GAMT de Juin 1999, lui-même extrait du livre de M. Aimé DUPUY, Directeur des Écoles Normales d’Alger -Bouzarea, Docteur de l’Université de Strasbourg, lauréat de l’Académie Française :



LORSQUE, depuis la loi Guizot, une École Normale primaire fonctionnait, en principe, dans chaque département de la Métropole, l’Algérie n’avait encore, trente-cinq ans après l’arrivée des Français, aucun établissement scolaire de ce genre. Le progrès de l’instruction primaire dans les trois provinces nord-africaines, et le désir de la voir répandue largement dans la population indigène, amenèrent le Gouvernement Général à solliciter, en 1865, la création de la première École Normale d’Algérie.


“A quelques kilomètres d’Alger, sur un mamelon que couronnent les pittoresques coteaux de Mustapha. et qui, d’autre part, domine la mer (1)... Il est au monde peu de sites aussi riants que celui de Mustapha-supérieur composé exclusivement de villas élégantes jetées au hasard et perdues dans de vastes jardins à végétation luxuriante...”


Fondée par décret impérial en date du 4 mars 1865 et arrêté ministériel du 3 août de la même année, c’est là, dans ce “site riant”, aujourd’hui occupé par le Musée des Antiquités et le Parc de Galland, que s’installa la première École Normale d’instituteurs de l’Algérie. Elle utilisa d’abord une “vieille maison mauresque”, dite de Bellevue, à laquelle furent greffées certaines constructions annexes appropriées à leur destination spéciale.


Le 16 décembre 1865, la Commission de Surveillance (2) établissait un projet d’organisation du nouvel Etablissement, lequel commençait à fonctionner, dès le 16 janvier suivant, sous l’autorité de M. LEDUC, précédemment directeur de l'École Normale des Basses-Pyrénées.


Le 8 septembre suivant, sous la présidence de M. l’inspecteur d’Académie VIGNALLY, la Commission se réunissait pour entendre le rapport de fin d’année de M. LEDUC, Directeur-économe. Après les considérations générales sur l’utilité, pour la propagation de l’instruction publique en Algérie, de la création d’une École Normale, le Directeur indique dans quelles conditions furent recrutés les premiers maîtres, puis les premiers élèves.


Voici les noms des élèves de la promotion entrante :


CASSAGNADE Jules d'Alger, REICHERT François de Boufarik ; BREIFFEITH Jean de Bouzaréa VILLENEUVE Marie de Saint-Leu (Oran), POUCHON Henri de Cherchell (Alger), LOUVIER Edmond dAlger, EYRAUD Alphonse de Kouba (Alger), OMAR ben AHMED de Bône , (Constantine) FATAH ben BRAHAM de Mustapha (Alger) ATTIA ben el BAÏOD de Bou-Saâda (Alger).


Seule, la première année fut recrutée dans la colonie, après un concours auquel se présentèrent trente-six candidats, dont quatorze européens et vingt-deux indigènes. D’après l’arrêté du 3 août 1865, l’élément indigène devait, en effet, figurer dans la proportion d’un élève musulman contre deux européens, de sorte que sur trente élèves qui forment le contingent total de l'École, il aurait dû y avoir dix indigènes. Une fois entrés, ces élèves devraient d’ailleurs retenir tout spécialement l’attention du personnel administratif de l’École; qu’on en juge par cet article 9 de l’arrêté organique


“...les élèves-maîtres indigènes seront l’objet de soins particuliers, aussi bien sous le rapport de la nourriture et des soins de propreté.”


Les deux promotions de seconde et de troisième année ont été choisies dans les “divisions correspondantes” des six départements du Midi, pour “asseoir dès l’origine les traditions des Écoles Normales de France”.


Voici les noms de ces élèves; en 3ème année, nous trouvons : MM. PROUZAT Pierre de l'École Normale de Poitiers; BARTHELEMY Etienne de l’Ecole Normale du Puy; FOUGEROUSSE Jean de l'Ecole Normale de Clermont-Ferrand; DORDOR François de l'École Normale de Besançon; RAQUE Julien de l'École Normale de Tarbes, HILAIRE Joseph de l’École Normale de Gap; PICARD Joseph de l’École Normale de Bourg; GRANIER Auguste de l'École Normale de Barcelonnette; BOUCAYS Antoine de l‘École Normale de Rodez; DUBOURO Jean de l'École Normale de Bourg. En 2ème année, ce sont MM. COTTE Michel de l'École Normale de Grenoble; DEMONQUE Louis de l'Ecole Normale de Poitiers; GIRAUD Alfred de l'École Normale du Puy; MONNERAS Jean de l'École Normale de Tulle; PLANÇON Clément de l’École Normale de Besançon; PELISSIER Hyacinthe de l'École Normale de Barcelonnette; DENJEAN Armand de l’Ecole Normale de Foix; PAYAN Paul de l’École Normale de Gap; ESCURRE Jean de l'Ecole Normale de Tarbes; PAGES Jean de l'École Normale de Rodez.


Les trente élèves des trois promotions étaient tous en uniforme : tunique “en drap bleu foncé avec liserés bleu-clair, palmes en soie blanche aux collets de la tunique” cravate noire, “chachia” ou casquette “forme des employés du Télégraphe, en drap bleu foncé”.


M.LEDUC,le personnel et les élèves de 1866


(1)Ra pport de la Commission de Surveillance (8 septembre1866)


(2)Cette commission chargée, comme dans toutes les Ecoles Normales de France de l’époque, non seulement de la surveillance, mais encore de l’administration de ce ces établissements, comprenait MM TELLIER, secrétaire général de la Préfecture;LAIR inspecteur des lignes télégraphiques, en retraite, membre du Conseil Général de la Province ; LANGLOIS, capitaine d’ artillerie, attaché au Bureau Politique; HASSEN ben BRIMATE directeur de la Medersa d’ ALGER membre du Conseil Général et LEDUC ,directeur de l’ École


Les études en 1866.


D’après l’article premier du règlement, l’enseignement comprenait obligatoirement l’instruction morale et religieuse, la pédagogie, l’écriture, la lecture et la récitation, la langue française, l’arithmétique, le calcul et le système métrique, des notions d’algèbre et de géométrie, le dessin l’histoire, la géographie, des notions élémentaires de mécanique et d’industrie, de physique, chimie, histoire naturelle”, d’agriculture et horticulture, “d’administration et d’état civil”, le chant et l’orgue, la gymnastique et l’hygiène. En outre, en 1876, le Ministre de l’Instruction Publique autorise le Recteur d’Alger à faire donner aux élèves-maîtres des “leçons pratiques de télégraphie”. Notons que dans le programme de 1865 calqué sur celui des Écoles Normales de France, ne figurait pas l’enseignement de l’arabe. Il y fut cependant tout de suite introduit et, dans son compte-rendu de 1868, le directeur insiste sur la part faite à l’École, dans cet enseignement, à la conversation, et ajoute “...il serait désirer que la connaissance de l’arabe comptât pour une part plus importante dans les matières exigées des instituteurs employés en Algérie en vue de l’application qu’ils peuvent faire de cette connaissance tant au point de vue scolaire qu’au point de vue politique”. “Il faudrait, lit-on dans un autre rapport directorial de 1869, apprendre l’idiome arabe à la jeunesse européenne de nos écoles tout en enseignant le français aux écoliers indigènes.


La Journée d'un élève maître de Mustapha.


UNE journée trop bien remplie ! A quatre heures et demie, été comme hiver, le réveil sonne; sous la surveillance du maître de service, M. MONTANET, M. BOUSQUET ou M. SEVIN, chaque élève fait sa toilette, puis son lit; à cinq heures moins dix, c’est la descente en étude, «en silence et en ordre», puis, dans chaque étude, celle des chrétiens et celle des musulmans, on récite la prière. Après quoi, commence la préparation des classes du matin qui se poursuit« dans le silence le plus rigoureux », jusqu’à sept heures et demie.


Une heure est prévue pour le petit déjeuner, les «services d’appropriation» confiés aux élèves et la récréation. A huit heures et demie, le réglementaire sonne l’entrée en classe. Voici, attendant chaque promotion, les professeurs, M. LEDUC en tête qui enseigne la pédagogie, M. l’abbé FABRE professeur de religion, ainsi que Sidi ABD-EL-KADER, les deux «aumôniers» de l’Ecole, M. BRESNIER professeur de langue arabe, M.SEVIN professeur de Français d’histoire et de géographie, M. MONTANE professeur de sciences et de mathématiques, SI BEL HASSEN professeur d’écriture, M. ROY maître de chant et d’orgue, M. BEDOUR maître de gymnastique, M. DARRU professeur d’agriculture.


Les classes du matin durent 4 heures sans interruptions autres que les changements de cours, lesquels doivent se faire rapidement et en silence. A midi et demie, la cloche annonce le dîner; les élèves se rendent au réfectoire en silence et sur deux rangs. Le silence est de rigueur pendant le repas qui dure de «18 à 20 minutes». Le menu, fixé par l’article 12, comporte réglementairement un potage gras ou maigre, un plat de viande et légumes (bouilli, bœuf) ou de poisson et du fromage ou des fruits (figues, oranges, dattes ou noix). Après le repas, c’est la «récréation»: «les rires bruyants, les clameurs, les chants de toute nature sont prohibés. Une certaine modération doit toujours présider aux conversations et aux jeux divers auxquels peuvent se livrer les élèves durant les récréations.» Du reste, au cours de cette heure qui précède la rentrée des études et classes de l’après-midi (treize heures et demie), les élèves peuvent être employés à des travaux de jardinage ou à des exercices de chant d’ensemble.


Deux heures sont maintenant utilisées pour la préparation des classes de l’après-midi. De quinze heures et demie à dix-huit heures et demie, ces classes vont se succéder avec parfois des cours très ardus, comme les mathématiques, jusqu’au souper qui dure un quart d’heure environ. Après le souper, récréation, et comme celle de midi, «on peut causer et s’amuser avec modération et convenance». D’ailleurs, «le plus généralement», au lieu de récréation, les élèves sont employés à des travaux d’horticulture ou à des exercices de chant orphéonique.


Une heure seulement a séparé les classes de l’après-midi de la reprise des études du soir qui vont durer de dix-neuf heures trente à vingt et une heure trente; sur deux rangs, en silence, voici les élèves de nouveau dans leur salle d’études; «tout le monde s’assied et se met au travail avec calme. Point de mouvements inutiles, point de paroles ou de chuchotements durant l’étude». Dix minutes avant la fin, «chacun se dispose à la prière» durant laquelle «les élèves-maîtres doivent être constamment recueillis et se distinguer par une excellente tenue».


C’est bien entendu, en ordre et en silence, que l’on gagne le dortoir; on se déshabille «avec décence et sans bruit». Toutes précautions d’ordre hygiénique ont été prises à la fin de l’étude pour que, fenêtres et portes soigneusement closes, tout étant dans l’ordre, les maîtres surveillants puissent à leur tour aller se coucher. Alors, plus impressionnant encore que tous ces petits silences réglementaires, dont semble tissée la longue journée commencée à l’heure où il ne fait pas encore jour, le Grand Silence va, sept heures durant, régner dans le séminaire où se forment les premiers maîtres d’école de l’Algérie ; seuls le troubleront les aboiements des chacals, des chiens kabyles et le frisson du vent dans les arbres de Mustapha.


Sombres dimanches à Mustapha.


L’ARTICLE 17 dit que «aucun congé, aucune sortie particulière ne pourront être accordés aux élèves pendant la durée de leurs cours d’études, hors le cas de circonstances exceptionnelles dont le Directeur est juge...»


Les élèves-maîtres n’avaient donc « ni congé ni sortie pendant toute la durée de l’année scolaire ». Et dans une séance du 6 novembre 1874, avec une bienveillance que je crains fort voir plutôt appréciée par nos jeunes comme une plaisanterie administrative d’un goût douteux , le Directeur demandait à la Commission « pour dédommager un peu ses élèves de ces privations», de consentir à leur faire servir , les jours de grande fête, un repas «plus abondant et meilleur que celui des jours ordinaires». A quoi la Commission acquiesça, autorisant le Directeur-économe à introduire cette amélioration au menu des grandes fêtes , «pourvu que le crédit alloué pour la nourriture ne soit pas dépassé.»


Nos normaliens de 1866 restaient dix mois et demi à MUSTAPHA. Et d’un bout à l’autre de l’année scolaire les seules variantes à la monotonie de l’emploi du temps intervenaient le jeudi et le dimanche. L’après-midi de ces deux jours de la semaine en effet, comporte - quelle heureuse diversion ! - une «étude libre» (treize heures trente à quinze heures trente) durant laquelle les élèves peuvent être autorisés à recevoir leurs familles au parloir ou à faire leur correspondance. Puis deux heures de jardinage chaque jeudi ou bien «une promenade extérieure» suivie du souper et de l’étude.


Le dimanche matin, ils revêtent l’uniforme. «L’uniforme, écrit le directeur, est pour les jeunes gens une garantie de dignité et de bonne conduite; il trahit ceux qui tenteraient de déshonorer leur pavillon, et devient ainsi un puissant instrument de discipline».


Accompagnés de M. LEDUC et des maîtres-adjoints, les élèves endimanchés vont, à neuf heures moins dix, entendre la Grand’Messe à Mustapha-supérieur. L’office terminé, ils reviennent à l’École, quittent la tunique pour mettre la «chachia» et la blouse de travail. Une courte récréation, puis à dix heures trente, une dictée générale en texte suivi avec correction raisonnée.; ensuite, étude libre jusqu’au dîner que suivra une nouvelle étude libre. En uniforme on retourne à l’église pour les vêpres; « durant l’office comme pendant la messe, attention, recueillement, excellente tenue». Vêpres chantées, on revient à l’École chercher les indigènes, puis on part pour la promenade. « Dans les rues du village ou de la ville, les élèves se tiennent sur deux rangs et en silence; point de chuchotements ou de rires bruyants, une tenue grave et un maintien qui témoigne favorablement de la bonne éducation que reçoivent les élèves de l’École Normale.... Saluer les personnes respectables que l’on peut rencontrer....» En dehors du village, il est permis de rompre les rangs, de converser «deux par deux à volonté». Bien sûr, il faudra éviter de converser bruyamment, de chanter, de s’écarter du gros des élèves pour aller avec des personnes que l’on ne connaît pas . Une fois rentrés, nos garçons quitteront leur prestigieux uniforme, changeront de chaussures et de linge «dans le cas d’une transpiration considérable».


Souper, récréation puis étude libre quant au choix de travail, mais surveillée par le maître de service. A vingt et une heure trente, «prière et coucher» comme d’habitude.


Le régime des sorties libres individuelles ne fut institué que par le règlement de 1884. A cette date, les élèves de troisième année sortirent tous les dimanches; ceux de seconde année, le 1er, le 2ème et lr 3ème dimanche de chaque mois; ceux de première, deux fois par mois seulement.


Chers anciens, vous qui avez peut-être pesté contre la discipline qui régnait à l’École Normale de Constantine, que cet article vous fasse réfléchir. Peut-être alors penserez-vous que Nénesse était pour nous un second père qui veillait gentiment sur nos destinées !!!


De Mustapha à Bouzaréa.


DEPUIS plus de vingt ans, l’École Normale d’Alger fonctionnait à Mustapha. Tant bien que mal d’ailleurs, mal plutôt, car pour ses cinquante-quatre élèves de 1887, les locaux étaient insuffisants au point que l’Administration avait dû, pour les élèves indigènes, recourir à la location d’une partie de l’immeuble dont M. Ben Sédira, professeur à l’École, était propriétaire. D’autre part, dès 1877, il avait fallu, à la suite de mouvements sérieux du terrain, envisager l’évacuation des bâtiments de Mustapha. Aussi, à maintes reprises et instamment à partir de 1880, le Conseil d’Administration demandait-il, soit le déplacement, soit la reconstruction de l’École sur une partie du domaine qui offrait des assises plus solides.


Brusquement, à la suite d’une menace d’épidémie de typhoïde et de glissements inquiétants du sol au début de l’année 1888, “l’Etablissement fut transféré en toute hâte et non sans un certain affolement, dans les bâtiments inachevés et inutilisés de l’asile d’aliénés de Bouzaréa... Cette première installation eut lieu dans des conditions extravagantes dont les anciens de la Maison gardent encore le souvenir”. Le transfert avait été envisagé dans la séance du Conseil d’Administration du 28 novembre 1887, la maison Vemet s’engageant à effectuer le déménagement en vingt voyages. Il ne s’agissait d’ailleurs, pensait-on, que d’une installation toute provisoire dans cet asile qui n’avait, entre parenthèses, jamais été affecté au service des aliénés, mais que l’humour des nouveaux occupants baptisa incontinent du nom très expressif de “Maboulville”.


Installation toute provisoire certes, que le personnel de l’École n’acceptait pas sans récriminations. Il le fit bien voir lors de la séance du Conseil des Professeurs du 31 mars 1890- Dès le début, dit le procès-verbal, “À l’unanimité, le maintien de l’Ecole Normale À Bouzaréa était condamné”. Invités à expliquer individuellement leur vote, tous les professeurs sont d’accord pour déclarer malsaine, voire dangereuse, la nouvelle installation. L’assise des bâtiments est peu solide ; car ceux-ci “reposent sur des couches inclinées de schiste, et des glissements pourraient se produire qui entraîneraient l’École dans le ravin oriental”. L’orientation et la situation, également, sont mauvaises ; “les deux principales façades sont exposées au vent d’ouest et au vent d’est qui sont les plus fréquents et les plus puissants parmi ceux qui règnent sur la côte algérienne. Par les tempêtes, l’eau, la grêle et la neige pénètrent dans les dortoirs et dans les salles d’études, à travers les interstices des portes et fenêtres. En été, les salles et les galeries reçoivent le soleil jusqu’au dernier rayon. Aussi, dortoirs et études sont-ils très froids en hiver et très chauds en été”. Bouzaréa, d’autre part, est très humide, d’où les crises de rhumatismes violents constatés chez les élèves et les maîtres. Puis les défrichements pour plantation de vignes ont déclenché des fièvres paludéennes. L’École est, en outre, trop loin d’Alger aussi les élèves se fatiguent-ils... Enfin, les approvisionnements pour le service économique sont aussi incertains quant à leur livraison qu’onéreux pour leur transport.


Plus graves que ces inconvénients d’ordre matériel, d’autres ayant trait à la marche des études, militent en faveur du transfert de l’École en un lieu plus rapproché d’Alger.


C’est d’abord l’éloignement de la capitale, centre intellectuel; les élèves sont ainsi frustrés du bénéfice des cours, conférences, bibliothèques et musées. En outre, le personnel qui, du reste, a trouvé très difficilement à se loger, ou qui passe une grande partie de son temps en va-et-vient, “vit dans l’isolement”... Pour toutes ces raisons, le Conseil des Professeurs émettait le vœu que l’École fût reconstruite sur la propriété qu’elle occupait à Mustapha-Supérieur avant le 1°janvier 1888.


Toutefois, le Conseil d’Administration qui se tint le 8 mai suivant fut loin de rallier pareille unanimité. En effet, lors de cette séance, capitale pour les destinées de la première École Normale d’Algérie, trois membres du Conseil MM. ALLIAUD, Inspecteur d’Académie, GAGE, Conseiller du Gouvernement, et PLUQUE, adjoint au Maire d'Alger, obtiennent bien, en fin de compte le vote suivant “Qu’il n’y avait pas lieu d’installer l’École dans les bâtiments de l’asile d’aliénés”. Mais ce ne fut pas sans avoir vu se dresser contre leurs raisons, plus haut évoquées par le Conseil des Professeurs, les arguments de trois autres membres de l’Assemblée :le Maire de Bouzaréa, M. FOLCO, qui soutenait, y habitant lui-même, la salubrité de l’air de sa commune, le Conseiller général ALPHANDÉRY qui se préoccupait, en loyal élu du département, du surcroît de dépenses à résulter du retour et de la reconstruction de l’École à Mustapha, et sans doute - il ne le dit pas, mais on le devine - s’inquiétait du parti très douteux à tirer de bâtiments dont toute utilisation s’avérait des plus difficiles; enfin, le Sénateur MAUGUIN, Conseiller général de Blida, déclarait accepter fort bien pour sa ville l’École Normale dans le cas où le Département et l’État ne pourraient s’entendre sur le lieu, Mustapha ou Bouzaréa, d’une installation qui n’eût plus à être remise en question. Trois contre trois, le vote du Président l’emporta ; et au soir de ce 8mai 1890, les occupants mal résignés de Maboulville purent songer avec satisfaction qu’ils réintégreraient, quelque jour, les “pittoresques coteaux de Mustapha”.


Cependant... rien ne dure, on le sait, autant que le provisoire : la destinée de notre École allait en administrer la preuve, car, dans les délibérations des sessions qui vont suivre, les vœux du Conseil semblent, de guerre lasse, se faire de moins en moins pressants ; l’exode devient problématique, apparaît même rejeté aux calendes grecques. Et, sept ans plus tard, le rapporteur de juillet 1897 pourra, sans provoquer de protestations de la part de ses collègues, faire cette déclaration : ‘l’Ecole s’est développée dans le bâtiment où le Département l’a tout d’abord installée ; elle s’est faite à lui, et toucher à l’un serait porter atteinte à l’autre”.


Aussi bien, durant ces sept années, de très importantes transformations de “l’asile” s’étaient-elles opérées, pour le plus grand bien de l’Établissement. D’abord, l’École avait été dotée de nouvelles installations: ateliers, laboratoires, dortoirs, bibliothèques, sans compter l’agrandissement des cuisines et la création de jardins. D’autre part, et surtout, la nécessité aidant, en raison de l’organisation méthodique de l’Enseignement des Indigènes et la création, en 1891, de la Section Spéciale, l’École Normale de Bouzaréa était, selon l’expression de son directeur, devenue la clé de voûte de l’édifice scolaire en Algérie. A la rentrée d’octobre 1891, en effet, l’effectif avait brusquement augmenté de soixante unités, du fait de l’adjonction, aux Normaliens, des instituteurs de la Section Spéciale et d’une 3ème année de Cours Normal Indigène. Un an plus tard, cet effectif atteignait deux cent neuf élèves. Il devait arriver au chiffre de deux cent quarante-huit l’année suivante, le plus haut que Bouzaréa ait jamais connu en moins de trente ans, notre École, “unique en son genre”, était ainsi devenue la plus importante des Écoles Normales françaises.


Le premier directeur fut M. LEDUC, lequel inaugura l’École en 1865 à Mustapha-Supérieur, M. DELACROIX étant recteur de l’Académie d’Alger. M. LEDUC ayant pris sa retraite à Toulouse en juin 1872, fut suppléé par M. SEVIN, maître adjoint, puis remplacé par M GOY. M. CADORET qui avait, pendant dix-neuf ans, dirigé l’École Normale de Lons-le-Saulnier remplaça M. GOY en 1881. Nommé quatre ans plus tard, directeur de l’École Normale de Beauvais, il revint en 1894 s’établir à Alger comme avocat. Venu de l’École Normale de Constantine, qu’il avait dirigée pendant vingt-huit ans, M. GROS administra l’École Normale d’Alger de 1885 au 7 mars 1888, date à laquelle il fut nommé directeur à Tarbes. Après lui, M. ESTIENNE, ex ­inspecteur primaire à Caen, occupa pendant huit ans la direction de l’École, qu’il laissa en octobre 1896 à M. Paul BERNARD, ancien inspecteur primaire à Sétif. Nommé en 1909 inspecteur primaire à Paris, puis, plus tard, directeur de l‘Ecole Normale de la Seine, M. Paul BERNARD fut remplacé le l°janvier 1910 par M. Charles ab der HALDEN. Après sa démobilisation, celui-ci fut nommé inspecteur d’académie à Constantine le 1er janvier 1919. Après lui, M. GUILLEMIN, inspecteur primaire à Alger, qui avait suppléé M. ab der HALDEN pendant la guerre, continua de diriger l’École jusqu’au 1er janvier 1928, date à laquelle il fut remplacé par M. DUMAS, ex-inspecteur primaire de l’Enseignement des indigènes à Alger.


M. DUMAS, aujourd’hui inspecteur général de l’Enseignement des Indigènes, fut nommé inspecteur d’académie à Constantine le 12 Janvier 1935 et remplacé à Bouzaréa par M. DUPUY, ancien directeur de l’École Normale de Tunis, puis de celle de la Marne.


Directeurs successifs de la section spéciale :


MM. JOUVE (15/09/1893), BAUDELAIRE (01/l0/1894), RENARD (30/06/1897), BERDOU (30/09/1896), REDON (15/05/1903), DUMAS (09/1906), LLOPIS (01/l0/1910). POUPY (23/07/1921), LACROIX (09/1925), GIORGETTI (+ 27/08/1935), SCHLAFMUNTER (nommé en 02/1936).


Economes des Ecoles normales d’ALGER-BOUZAREA (depuis 1881)


MM. BOURGET, GAUTHIER, ANTONIOTTI, MOUTET, BARJAUD, AUDOLI, RAFFY. BASTOUIL. (17/09/189!), BRUNOT (18/09/1907), PELISSIER (26/11/1919), MAGNIE (3/09/1920), BOORSCH (21/09/1922), BAUR (6/09/1923), DELPRETTI (7/11/1929).


Professeurs des Ecoles normales d’ALGER-BOUZAREA (depuis la fondation de l’Ecole de Mustapha)


MM. BOUSQUET, MONTANE, SEVIN, FONTAN. BRESNIER. NIEL, MARQUIS, FOST, Chanoine FABRE, Imam Ben el CHAAD, Ben SEDIRA, Docteur BRUCH, GODARD, ROY, DARRU, BEDOUR. REME, DELASSUS. ARMAND. FOURQUET, MORAT , GUILLOTEL, GIRARD, POINT, VICO, FERRIE, REY, PRUNETTI, HARANGER, BRUN, MONTAL, CHALMEY, Docteur SALIEGE , BARBIER, PIERRE, BAUDRY, AURIAC, GARNIER, QUILICI, FLEUREAU, GROSS, PEINDARIES, ELDIN, ARNAULT, BRABANT. Si AMAR (Boulifa), TERRASSON, SIADOUX, POISSON, LECQ, REUSS, BATUT, SCHILTZ, TAPIE, COLLOTTE. RENARD, SOUALAH, Docteur MOREAU, LALLEMANT, LEONI, BARSOT, MISARD, DOUGNAC. LARRAZET. FAUCHERE, LEPEINTRE, LADAUGE, Docteur LAPIN, ROUSSET, DAUNOIS, VALLAT, ROBERT, SEROR, MONVILLE, BERLANDE. VIRE, PELEGRIN, JAUSSAUD, PESTRE, AUBINE. EELAÏD, DI LUCCIO Le BORDAYS, BIAGGI François, BOUVIER. COULON, ANGLADE, ROLLAND, LACROIX, LECARRE, MICHEL,TRUET, HERPIN, CROUZET, SCHLAFMUNTER, BATISSE. BERTHIN, CARRICABURU. GIORGETTI, PUGET DISDET, LEMAIRE, LECOUTRE, DEGIOANNI, ARGILAS, BONNET, DARBES, BURET, PETIT-COLIN, Mme SJMONEAU, SIMONEAU, ROUSSEAU, COISY, CARAYON, GESTAS, RIZZO, BESSERVE, Docteur DANA, HEBRARD, CLERC, BIAGGI Michel, LAITIER, Mme RAFFALLI.


Directeurs de I’Ecole annexe :


MM. POZZO DI BORGO, CASTERAN, MOUTET-FORTIS, GARNIER, PROTIN, MOY, QUILICII, SUBERBIELLE; MAGNOU, GINESTET.


Instituteurs de l’Ecole annexe :


MM. PERRENOT, SLIMAN (Taleb), BEN MALEK (taleb), CHATELAIN, BRANKI, POUPY, ESTARELLA, BONNET CHAMBRIER, ROLLET, NEUVILLE, AMABRIC, SEBRAN, LLEDO, CHAS, ARNAULT, REMY, GAILLAT (économat), CHALLON, DESPOMBS, MENGUAL (économat), GOBERT (économat), VILLARD (économat), GOMEZ (économat), BARRACHINA, MAZIER (*)


Bouzaréa..." le Père de la Graine ? ".


N 1888, la commune de Bouzaréa a pris quelque essor. Des maisons de campagnes ont été édifiées par des Européens, alternant avec les demeures mauresques occupées par les descendants des corsaires et des riches bourgeois d’Alger. Deux routes carrossables, passant par El-Biar et par le Frais-Vallon, ont été ouvertes jusqu’à la capitale. Une bonne piste conduit jusqu’à la forêt d’Aïn-Baïnem, à travers des sites pittoresques, L’installation de l’Observatoire et de l’École Normale ont contribué à augmenter l’activité du village.


Le colonel de Polignac ne tarda pas à devenir une personnalité de marque à Bouzaréa, avec TRÉPIED, le savant, ESTIENNE, directeur de l’École Normale et FOLCO, grand épicier d’Alger, devenu maire. On témoigne à M. de Polignac beaucoup de déférence. Souvent, il arrête les jeunes Normaliens et se plaît à les instruire ou à les taquiner. C’est ainsi que je lui fus présenté avec un groupe de camarades français et indigènes en promenade. Pour me prouver sans doute l’estime dans laquelle il tenait ma race, il m’apprit que les Arabes avaient eu, dans l’émir Khaled Ben El Oualid, un fameux tacticien. Dans la suite, il me demanda ce que signifiait “BOUZARÉAH” en arabe, car on lui avait donné des versions différentes. Entre autre explication, on lui avait sérieusement déclaré que le nom voulait dire: le lieu battu par le vent.


— Pas du tout, mon Colonel, lui répondis-je, on vous a induit en erreur, comme on a trompé le Directeur de l‘École Normale.


— Comment cela ?


— C’est bien simple. Bouzaréah est composé de 2 mots Bou et Zarria’a. le premier veut dire : père, ou bien, ce qui est remarquable par. Le deuxième signifie graine ou semence.


Joignez les deux parties, vous obtenez Bou Zarrîa’a (que vous avez déformé en Bouzaréah ou en Boudjaria) qui signifie père de la graine, ou le lieu remarquable par la semence.


— Le père de la graine ! le lieu de la semence, reprît le prince, cela ne me semble pas logique parce que, Bouzaréah, avec son massif rocailleux, n’est guère favorable à la semence.


A l’instant passa le vieux taleb Si Slimane , appuyé sur sa matraque; il se rendait à la tribu, du côté du Marabout “Sidi-Madjdouba”. Son âge et sa condition en faisaient le dépositaire fidèle de la tradition historique. Nous l’appelâmes et lui posâmes la question. Glissant gravement la main sur sa longue barbe, comme pour se recueillir, il esquissa un sourire malicieux, puis il dit “C’est par ironie que l’on a donné le nom de Bouzaréah à ce pays lorsque vous avez labouré, semé, sarclé, moissonné, dépiqué et sué abondamment, c’est à peine si vous parvenez à récolter la semence confiée à cette terre ingrate. Il faut donc prendre le nom dans un sens moqueur.”


— Pas mal imaginé Quelle subtilité orientale fit le colonel en hochant sa tête maigriotte au nez bourbonien. Puis il ajouta “Ah Voilà sans doute la raison qui a déterminé les colons à fuir ces parages pour le Sahel et la Mitidja. Et, nous désignant, il demanda au taleb “Et cette jeune graine panachée que le Gouvernement vient de semer à Bouzaréah ne paraît-elle pas aussi improductive en dépit des frais qu’elle occasionne aux contribuables ?”


— Allaho A’aiem (Dieu seul le sait), répondit le vieux maître d’école coranique qui continua son chemin en trottinant. Quant à nous, nous saluâmes le colonel avec quelque confusion.


Les projets des élèves maîtres.


Panaché, notre groupe l’était au physique et au moral. En effet. les Français portaient une casquette de collégien avec un complet redingote qui donnait aux jeunes gens un certain air de gravité. Les indigènes ressemblaient à de jeunes turcos avec leur calotte rouge, leur veste en forme de boléro jaune, et leur pantalon bouffant bleu. Seules, les palmes académiques ornant les casquettes et les vestes nous étaient communes.


Quant à nos idées, veuillez considérer un entretien de l’époque:


“ — Moi, disait le grave Donadieu, je voudrais réussir au brevet supérieur, épouser ma cousine qui est à l’École Normale de Miliana et être nommé instituteur à Douaouda, mon pays natal.


— Si j’obtiens le brevet élémentaire, déclara le petit Mohammed, je demanderai un poste dans une école nomade de notre region. La vie errante au milieu des pasteurs et des cavaliers intrépides me plairait assez, bien que mon père se soit fixé dans mon village.


— l’enseignement ne m’attire pas précisément ! s‘exclama le grand Pierre. Il est possible qu’une fois mes études; terminées , je me prépare au concours de rédacteur dans l’administration algérienne.


— Eh bien, moi, je retournerai dans ma montagne: je rejoindrai ma famille. .Je planterai des figuiers et des oliviers d’un bon rapport, fit Aït Ouaghzène. qui n'avouait pas que son père l’avait déjà marié pour l’attacher au foyer.


— Parfait opina Moïse. tout en assurant consciencieusement le service de ma classe. je ferai valoir mon argent dans des opérations commerciales.


— Ferment d’usure ! Grand fainéant ! s ‘écria Manuel. Tu n’ignores pas que l’agriculture produit plus que le négoce, apanage des parasites. Seulement, il faut se donner de la peine. Dans le bled, j’achèterai des lopins de terre, je serai maître d’école et colon. Je m’associerai avec les Arabes pour élever des moutons


— Vulgaires arapèdes ! s ‘exclama Clazaroni. On est déjà à l’étroit ici comme en Corse. Moi, j‘irai aux colonies où les traitements sont plus élevés qu’en Algérie. Vous n’entendez rien à la vie, Pourriez-vous entretenir une famille avec les 100 francs par mois que l’État nous octroie généreusement ?


— Calzaroni a raison, expliqua Ahmed. S’il est désigné pour le centre de l’Afrique, je serai son adjoint. On se rouille en restant sur place.


Et 50 ans plus tard,.. Voyons ce que sont devenus les interlocuteurs rencontrés au temps du Prince de Polignac


— Donadieu a accompli une carrière normale dans l’enseignement primaire, comme d’ailleurs la plupart de ses camarades français et indigènes. Il a fini par être nommé directeur de l’école de Douaouda avec sa femme comme adjointe. Le couple a pris sa retraite dans le pays après la satisfaction de voir un fils nommé instituteur adjoint sur place et une fille mariée à Coléa.


— Le goût de l’étude a détourné Mohammed de la vie bédouine. Suivant le conseil de ses maîtres, il a poursuivi ses études à l’École Normale française puis à la Faculté d’Alger. Devenu professeur, il s’est élevé jusqu’à l’agrégation et par doctorat es lettres. Ayant rendu des services appréciés pendant la grande guerre, il a été nommé officier puis chevalier de la Légion d’Honneur. Marié avec une parisienne, il a élevé ses deux enfants au lycée. Son fils, bachelier, est contrôleur financier. Sa fille, bachelière, ayant épousé un métropolitain, il se trouve être le grand-père de deux petits bretons. Sa retraite acquise, il partage son existence entre l’Algérie et la France.


— Pierre a tenu parole. Après avoir exercé comme maître adjoint dans des écoles importantes, il a préparé la licence et le doctorat en droit. Il a affronté des concours pour entrer dans l’Administration. Ses qualités lui ont permis d’accéder aux fonctions de préfet, de directeur du cabinet du Père La Victoire, de président du Conseil municipal de Paris et de procureur général à la Cour des comptes. Il est commandeur de la Légion d’Honneur.


— Ait Ouaghzêne a sérieusement bifurqué. De bonne heure, son père lui a laissé, en mourant, une fortune rondelette. Il a renoncé à l’enseignement pour se consacrer à la culture du figuier, de l’olivier et de toutes nouvelles espèces d’arbres fruitiers. C’est lui qui a bien tiré profit des leçons du “ Père Girard ”. Tranchant avec les Kabyles, il est devenu l’arbitre des élégances indigènes. Élu conseiller général et président de la section kabyle aux Délégations financières, il a été élevé au grade d’officier de la Légion d’Honneur. Ce conservateur a donné une éducation française à son fils qui est pharmacien en Kabylie et à son neveu devenu ingénieur naval après être sorti dans les premiers rangs de l'École polytechnique.


— Moïse n’a pas réalisé ses rêves en matières commerciales. Il a fait mieux. Entré par voie de concours au service des Postes, Télégraphes et Téléphones en Algérie, il est parti ensuite pour le Tonkin. Il a bénéficié d’un avancement rapide et mérité, puis il est revenu occuper un poste important dans son administration. Ses pérégrinations ne l’ont pas empêché de pousser sa fille jusqu’au professorat et ses garçons jusqu’au doctorat en médecine et en pharmacie.


- Manuel s’est consacré à sa classe. Il s’est attaché également à la culture. Après avoir confié son domaine à son beau-frère, il s’est rendu, un des premiers, au Maroc, où il a fait défricher de nombreux terrains. De son fils, il a fait un agrégé de mathématiques.


— Calzaroni n’a pas tardé à se faire nommer au Sénégal. Devenu directeur d’école normale, il a présidé à la formation de nombreux maîtres indigènes en Afrique Occidentale Française. Au début de la grande guerre, il est mort glorieusement, en Artois. à la tête d’une compagnie, de tirailleurs marocains.


— Ahmed était le fils d’un vénérable taleb. Doué d’une vive intelligence, il se montre facétieux. A Bouzaréah, il inquiète le curé du village parce que les jeunes filles européennes s’intéressaient à ses tours plus qu’à la messe. Dans une époque de chômage intellectuel, il parcourt la France et l’étranger. Un jour, un de ses professeurs le rencontre porteur d’une faucille au milieu d’une équipe de moissonneurs en Bourgogne. Quelques mois après, il adresse une carte postale de Damas, puis une autre du Maroc espagnol. Dans la suite, il surveille Déroulède, banni à St Sébastien. Puis il monte des agences commerciales dans le midi de la France. Au cours de la grande guerre, il s’engage dans les cuirassiers. Il n’y avait pas droit. Une maîtresse jalouse le dénonce comme ne pouvant être incorporé que dans les tirailleurs ; il est muté. A la paix, il acquiert des stocks de “godillots" américains qu’il écoule aux armées balkaniques.


Qu’on ne s’y trompe pas. Les types présentés répondent dans l’ensemble à des réalités. Leurs noms prouvent qu’ils appartiennent à des races diverses, bien juxtaposées. épanouies sous l’égide de la France. Ils constituent donc la graine panachée visée par le prince de Polignac.


Dans la pensée de ses promoteurs, cette semence devait être soigneusement traitée à Bouzaréah pour être ensuite consacrée à l’alimentation substantielle des enfants du peuple. Mais à l’expérience on a constaté que des types sélectionnés s’étaient montrés aussi bienfaisants pour les adolescents que pour les hommes d’âge mûr. Aussi ont-ils été adoptés par les classes moyennes et dirigeantes.


D’autre essais ont prouvé qu’en dépit de la routine cette semence s’adaptait parfaitement aux différentes natures de terres, sans distinction d’altitude, de latitude ou de climat. Pour les musulmans, elle opérait à la façon de la Baraka (bénédiction). Pour les européens émancipés, elle avait des propriétés radioactives. En définitive, elle produisait un bien-être universel.


En effet, gravissez le Djurdjura, cheminez par monts et par vaux, allez de Kairouan à Rabat, de Gabès à Agadir, traversez le Sahara et le Niger vous ne manquerez pas de constater les magnifiques résultats obtenus en dépit des pires difficultés et sans réclame tapageuse par des pionniers intellectuels sortis de Bouzaréah. Apprentis et compagnons d’origine picarde. provençale, lorraine, auvergnate, languedocienne, espagnole, italienne. arabe, berbère, soudanaise et parfois annamite, ils ont appris, sous la direction de maîtres éclairés, la valeur de l’émulation. Placés au milieu de vastes solitudes désertiques ou parmi les populations les plus denses, ils ont répandu les idées de travail, de paix et de solidarité humaine. Avec le temps, les idées se sont développées, opérant comme des plantes vivaces; elles envahissent, étouffent et détruisent toutes les mauvaises herbes que sont les préjugés. Elles assurent l’union des cœurs dès l’âge tendre. Voilà pour l’œuvre des laboureurs au milieu des terres en friche.


Vous trouverez donc, tout naturellement quantité d’anciens élèves de la Bouzaréah dans l’enseignement primaire élémentaire et supérieur.


Vous en rencontrerez également, en moins grand nombre, à tous les degrés de l’éducation nationale et dans les carrières administratives, judiciaires, libérales, industrielles, commerciales et agricoles, non seulement en Algérie, en Tunisie et au Maroc, mais jusque dans le Sahara, au Soudan, en Égypte et en Syrie. Aux exemples donnés plus haut, on pourrait ajouter des professeurs agrégés dans les Lycées et les Facultés, des avocats, des médecins, des administrateurs de commune mixte, des contrôleurs civils, des officiers supérieurs, un directeur des Contributions, un directeur de grande banque, un gros fabricant de porcelaine de Limoges, des directeurs de coopératives agricoles, des musulmans viticulteurs ou artistes peintres.


Épilogue.


Bouzaréah, Père de la Graine, sorte de géant polycéphale, placé à la porte de l’Afrique française, recèle des forces mystérieuses.


D’un centre riant et de sites merveilleux, il dispense la santé et le plaisir aux citadins anémiés.


De son belvédère fortifié, dominant la terre et la mer, il assure la paix au royaume d’Alger-la-Belle.


De son observatoire, il scrute le ciel et prodigue de nouvelles richesses à la science.


De ses Écoles Normales, l’été venu, il lance trois compagnies de fervents apôtres munis d’une semence divine pour fertiliser l’esprit humain.


Que de Bouzaréah, phare lumineux, rayonne à jamais le génie civilisateur de la France !


Propos tenus par M Mohamed SOUALAN, ancien normalien de Bouzaréah, Docteur es Lettres, agrégé de l’Université et Professeur au Lycée d’Alger, dans la “Dépêche algérienne” du 18 avril 1938, à l’occasion du cinquantenaire de l’École.


L’Ecole Normale MUSTAPHA